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Épilogue : L’importance des rues


La route disloque

Autour d’une rue les éléments de l’habitat sont au contact et mélangés. Ils se retrouvent ségrégués dans une urbanisation organisée autour de routes. L’habitat paraît l’objet d’un tri centrifuge. Ses constituants sont recomposés en agrégats homogènes distincts, connectés par les routes. Les habitations sont regroupées dans des enclos de résidences ou des lotissements, les boutiques se métamorphosent en centres commerciaux, les cours et les jardins se transforment en espaces verts, les places de stationnement se coagulent en parkings, les cafés, les restaurants et les cinémas s’agrègent en complexes, les bureaux se concentrent en tours ou en techno-parcs. Les chaussées deviennent des voies de transit ou de desserte. Les giratoires peuvent être vus comme les symboles de cette machine à séparer, où l’on ne se croise plus, où l’on ne se côtoie plus.

Le résultat s’avère décevant, car il impose un mode de vie dont les risques apparaissent de plus en plus crûment :
- risques de la dépendance : nécessité de posséder une voiture en état de rouler et d’y consacrer le budget nécessaire ; nécessité d’avoir un permis, et la capacité physique de conduire. On devient dépendant de ce qui semblait nous donner notre indépendance.
- risque de l’accident et de la violence : les éléments semblables sont regroupés en zones. On est donc « entre soi », chaque zone est homogène. Mais entre les zones, les différences s’accumulent et peuvent être synonymes de tensions, de défiance, voire de peur et de violence.
- risque de l’ennui : chaque zone étant sans mélange est de ce fait uniforme et morne. Cet habitat peut donc se révéler coûteux, fragile, dangereux, et profondément ennuyeux. Nous constatons alors les effets de la suppression des rues. Nous prenons par défaut conscience de leur rôle essentiel dans notre habitat.


La rue rassemble

Avoir de nombreux voisins et entretenir avec eux des relations de bon voisinage, ce n’est pas facile. Les antagonismes s’aiguisent et peuvent dégénérer quand nous sommes directement confrontés les uns avec les autres sans médiation, comme dans les résidences ou les lotissements. La rue assure cette médiation et triangule la relation entre des riverains voisins. Elle permet que des éléments différents, voire antagonistes, se côtoient. La densité qui en résulte permet que nous trouvions à courte distance les éléments du quotidien. Les rues nous permettent de les fréquenter à pied et en vélo, pour autant que nous veillions à ce qu’elles soient marchables, cyclables et intéressantes. Pour cela leurs partages - frontal et modal - doivent être équilibrés.

« On sait bien que l’on vit mieux là où il y a des rues, des constructions à taille humaine, des transitions et des jointures, des jardins et des espaces qualifiés - en bref, là où il y a de l’urbanité. (...) Un tel projet ne se limite pas au bâti. Ce doit être un projet social, un projet de société. » Rapport Sueur 1998 « DEMAIN, LA VILLE » p. 23. » Le rapport est volumineux ; cette phrase, sorte de cri du coeur, est intéressante dans sa brièveté.  « On le sait bien »… mais alors comment se fait-il que souvent, loin de reconquérir les rues transformées en routes ou inhabitées, nous consacrions nos efforts à des processus inverses de sécurisation et de stérilisation ? La négation des rues a pu avoir lieu pendant l’euphorie des Trente Glorieuses, sans que nous réagissions. Trente ans après, au temps des bilans, la crise économique et le développement d’Internet et des réseaux sociaux transforment encore la donne. Ce contexte nouveau accentue l’urgence de rééquilibrer de part et d’autre des lignes de frontage entre nos vies en public et en privé, pour constituer un espace public concret et vivant. Les rues sont au coeur de cette question. Là où elles sont mal en point, absentes ou mornes, nous avons des possibilités d’agir pour les reconquérir, pour autant que nous en prenions conscience et cernions des pistes d’action. Ce livre est un essai pour y contribuer.

Mais pour agir il faut oser faire confiance. Comme le dit le directeur de la planification spatiale aux Pays-Bas Henk Ovink « On politics on planning » - 9 fév 2011 Parlement européen - « We have to trust and let go. Trust others, local authorities and let go strings and responsibility and give new alliances much more room. More room in rules and regulations. And we have to keep on testing. Never be scared to fail, because within this failing we can try to actually solve some of our urgent issues. ». , « we have to trust and let go ». L’Atlantide a été engloutie par les flots, Troie a été détruite par l’ennemi. Mais nos propres villes et villages et leurs rues ne sont pas les victimes de forces naturelles ni d’un ennemi venu de l’étranger. Nous sommes les auteurs de ces processus, et sommes parfois devenus à nous-mêmes notre propre ennemi.

Pouvons-nous reconquérir ce que nous nous dérobons à nous-mêmes, pouvonsnous en particulier reconquérir nos rues ? Les mécanismes de cette dépossession sont sournois : tout le monde la ressent plus ou moins confusément, mais l’on peut avoir du mal à l’identifier, ou préférer ne pas en être conscient pour moins en souffrir. Autant de difficultés et de dénis à dépasser pour discerner des possibilités d’agir, et expérimenter des pistes d’action.

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TEXTS - JARDINER EN PUBLIC

reconquérir les rues nicolas  soulier

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